Occupation Allemande, le témoignage de Mme Royer

Assise dans sa chaumière normande, Madame Royer, presque centenaire, porte en elle une mémoire profonde de l’occupation allemande. À 99 ans, elle est témoin de cette période qui a marqué sa jeunesse et celle de sa communauté en Normandie. Avec sagesse et résilience, elle partage ses souvenirs, offrant un regard unique sur le passé. Sa maison, témoin de tant d’événements, devient le lieu où l’histoire prend vie, invitant les générations futures à plonger dans le passé et à comprendre leur héritage.

Pendant l’occupation allemande, la vie de Madame Royer était remplie de contradictions. Malgré la routine quotidienne, l’ombre de la guerre était omniprésente. Chaque jour apportait son lot d’incertitude et de prudence, alors que les soldats allemands étaient toujours là, menaçants. Les rues animées de Normandie étaient maintenant silencieuses, les bruits de bottes remplaçant les sons de la vie rurale. Madame Royer et sa famille devaient s’adapter à cette nouvelle réalité, mêlant activités quotidiennes et précautions pour éviter les dangers de l’occupation.

Le STO

Au cœur de l’occupation, la famille Royer a été confrontée à la dure réalité du Service du Travail Obligatoire (STO), une mesure imposée par l’occupant qui forçait les jeunes Français à travailler en Allemagne. Face à cette contrainte, nombreux étaient les réfractaires cherchant désespérément à échapper à cet exil forcé. Le père de Madame Royer, reconnu dans son village pour son intégrité et sa sagacité, était souvent sollicité par ces jeunes et leurs familles, implorant son aide pour éviter cette destinée.

Dans une situation particulièrement mémorable, conscient des enjeux et des risques, le père de la famille Royer a pris une décision audacieuse. Il a envoyé sa propre fille, alors âgée de 17 ans, à Bernay. Sa mission était de plaider la cause d’un jeune homme destiné au STO. Pour éviter l’enrôlement forcé, ils ont décidé de mentir sur sa condition médicale, espérant ainsi obtenir un certificat d’exemption. Arrivée à la Kommandantur, elle s’est trouvée confrontée à la demande d’un certificat médical, qu’elle ne possédait pas. Malgré le risque que cela représentait, elle a décidé, seule, de se mettre à la recherche d’un médecin qui serait à-même de lui fournir un certificat médical. Elle a finalement réussi à trouver un médecin dans la combine, capable de lui délivrer le précieux sésame. Revenant à la Kommandantur, elle a présenté le certificat médical falsifié avec assurance, tandis que les soldats allemands, peu méfiants, n’ont pas décelé le subterfuge. Cette décision, prise de manière précipité par Mme Royer, à éviter à ce jeune homme bien des souffrances

La résistance locale

Raymond Vallée, le beau-frère de Madame Royer, incarne un chapitre particulièrement sombre et poignant de l’histoire de la Résistance locale. Son expérience tragique avec les forces d’occupation allemandes offre un aperçu cruel de la brutalité de la guerre. Lors d’une opération visant à écraser la résistance dans la région, les résistants se sont retrouvés dans la fromagerie familiale pour une réunion secrète. Malheureusement, les Allemands ont interrompu leur rencontre et ont transformé les lieux en chambre de torture et d’interrogatoire. Les résistants, pris au dépourvu, ont été brutalement arrêtés et soumis à des interrogatoires violents. Raymond Vallée, présent lors de cette tragique intervention, a été témoin des souffrances infligées à ses camarades. Les cris de douleur et les supplications des résistants résonnaient dans la fromagerie, remplissant l’air d’une atmosphère de terreur et de désespoir. Les Allemands, déterminés à obtenir des informations, n’ont pas hésité à recourir à des méthodes de torture épouvantables pour briser la volonté de leurs prisonniers. Tout était permis pour briser la volonté de ces résistants

Dans cette atmosphère chargée de terreur, le père de Raymond, un résistant connu, fut capturé et atrocement torturé. Les Allemands, dans un acte de cruauté calculée, l’ont intentionnellement placé à proximité de Raymond, afin que ce dernier entende les souffrances de son père. Cette tactique visait à briser moralement Raymond, à le forcer à divulguer des informations sur la Résistance. Malgré la douleur et la peur, il résista, refusant de céder sous la pression.

La volonté de fer de Raymond a forcé les Allemands à l’incarcérer, pour continuer les interrogatoires. Souffrant, la situation de Raymond s’est encore compliquée lorsqu’il a été mis en quarantaine par les Allemands. Ils craignaient la propagation de la diphtérie, maladie dont il souffrait. Raymond fut donc isolé, dans un état de santé précaire, dans un wagon à la gare de Compiègne. Cependant, dans un revirement inattendu et fortuit, un bombardement allié a frappé la région, semant la confusion parmi les soldats allemands. Profitant du chaos, Raymond a réussi à s’échapper, fuyant à travers les campagnes Normande pour retrouver sa liberté.

La vie sous l’occupation

es premiers jours de l’occupation allemande en Normandie restent gravés dans la mémoire de Madame Royer comme un moment de basculement, où la vie telle qu’elle la connaissait a été plongée dans l’incertitude et l’angoisse. L’arrivée des forces allemandes a marqué un changement radical dans le quotidien des habitants, introduisant une atmosphère de tension et de peur qui allait peser sur les années suivantes.

Dès le début de l’occupation, le père de Madame Royer, marqué par son expérience de la Première Guerre mondiale, a immédiatement compris la gravité de la situation. Il a pris la décision de cacher ses enfants dans une cave, un refuge sommaire mais sûr, pendant les premiers jours de l’occupation, ne sachant absolument pas quoi s’attendre de la part de l’ennemie. La vie sous l’occupation s’est rapidement transformée. Les troupes allemandes s’installaient, imposant leurs règles et leur présence dans chaque aspect de la vie quotidienne. Les rues, autrefois animées par les interactions communautaires et la vie rurale, se sont tues sous le poids d’une surveillance constante. Les habitants, y compris la famille Royer, ont dû s’adapter à cette nouvelle réalité, apprenant à naviguer dans un monde où la méfiance était devenue une seconde nature.

Ces premiers jours ont également marqué le début d’une période de résistance silencieuse. Pour beaucoup, dont la famille Royer, il s’agissait de résister dans le quotidien, de maintenir un semblant de normalité tout en cachant une profonde hostilité envers les occupants. Cette période a semé les graines de la résilience et de la détermination qui allaient caractériser l’attitude de Madame Royer et de sa communauté tout au long de l’occupation. L’un des épisodes les plus marquants et héroïques vécus par la famille Royer pendant l’occupation allemande fut le sauvetage d’un pilote américain. En 1943, un aviateur américain, s’est écrasé en Normandie. Blessé et désorienté, il a trouvé refuge auprès de la famille Royer, qui n’a pas hésité à le cacher, malgré le risque immense que cela représentait pour eux-mêmes. Le pilote, ne pouvant communiquer qu’à l’aide d’un petit dictionnaire franco-anglais, a réussi à transmettre son nom : Joseph Goron. Consciente des conséquences désastreuses si les Allemands découvraient leur acte, la famille Royer a décidé de cacher notre aviateur, ils l’ont donc dissimulé dans un tas de foin à la grange.

Le séjour du pilote chez les Royer a été marqué par une tension constante. La famille a vécu dans la crainte d’une découverte, surtout lorsqu’une compagnie allemande est arrivée pour fouiller leur maison de fond en comble. La situation était d’autant plus périlleuse que les soldats inspectaient chaque recoin de chaque pièce de la famille familiale. « Ils fouillaient et retournaient tout ! jusqu’au berceau du bébé ! » nous confie Mme Royer. Fort heureusement, les Allemands n’ont jamais mis la main sur l’Américain. Après quatre jours d’angoisse, les Royer ont pu contacter la Résistance locale. Une nuit, un groupe de résistants est arrivé avec un camion rempli de tôles, créant une diversion parfaite pour exfiltrer discrètement le pilote. Cette opération réussie n’a pas seulement permis de sauver la vie de Joseph Goron, mais a également marqué une victoire morale pour la famille Royer et pour la Résistance.

La bataille aérienne

Madame Royer se souvient vivement d’une bataille aérienne particulièrement intense et émotionnellement chargée, survenue dans le ciel de Normandie. Ce jour-là, les habitants de la région, y compris la famille Royer, ont été les témoins involontaires d’un affrontement brutal entre un chasseur allemand et un avion britannique. Le combat aérien était à la fois fascinant et terrifiant. Les avions se livraient une danse mortelle dans le ciel, leurs moteurs grondant, résonnant à travers les champs et les villages. Madame Royer, alors jeune fille, observait, le chasseur allemand poursuivre inlassablement son adversaire britannique. Le chasseur Allié, déjà endommagé, essayait désespérément d’échapper à son poursuivant.

Dans un tournant tragique, l’avion britannique fut fatalement touché et commença à perdre de l’altitude, s’écrasant à proximité, à Campigny. Le chasseur allemand, continua de tirer sur l’avion britannique même pendant sa chute.  La carcasse de l’avion britannique, en flammes, gisait sur le sol, un spectacle à la fois sombre et captivant. Madame Royer et d’autres villageois se sont rendus sur le site du crash ce soir-là. L’image du corps inanimé du pilote britannique, encore dans l’épave, était particulièrement poignante. Madame Royer nous raconte : « Les Allemands nous défendaient de s’approcher trop près. Mais d’ici, je voyais le corps calciné du jeune homme. Il devait avoir la vingtaine. Je me souviens encore de la bague, visible à son petit doigt »

Un événement particulièrement saisissant durant l’occupation allemande a eu lieu dans le salon même de la maison de Madame Royer. La guerre avait envahi l’espace le plus privé et personnel des habitants de Normandie. Un jour, sans préavis ni explication, un groupe de soldats allemands a investi le salon de la famille Royer. Les Royer ont été pris par surprise lorsque les soldats ont commencé à déployer des cartes et à établir ce qui semblait être un quartier général temporaire dans leur salon. Les soldats, professionnels et concentrés sur leur tâche, ignoraient presque complètement la présence des membres de la famille, qui observaient avec un mélange d’inquiétude et de curiosité.

La communication entre la famille Royer et les soldats allemands était limitée, mais après tout ce temps d’occupation, les soldats parlaient relativement bien le français. L’atmosphère était tendue, avec les explosions qui retentissaient au loin, les soldats présents semblaient pourtant indifférents, confiants dans leur éloignement des lignes de front. Madame Royer et sa famille, connaissant bien la région, et ont décidé d’identifier, sur les cartes opérationnelles des Allemands, les lieux probables des bombardements. Les Allemands, impassibles, ne semblaient pas croire que les combats étaient aussi proches, ou en tout cas, ne laissait rien transparaitre. Le lendemain, les soldats allemands étaient partis aussi soudainement qu’ils étaient arrivés, emportant avec eux le cheval de la famille.

La fin de la guerre

La fin de l’occupation et la débâcle allemande ont marqué un tournant décisif dans la vie de Madame Royer et de sa communauté en Normandie. Alors que les forces allemandes battaient en retraite, le chaos et la destruction les suivaient. Madame Royer se souvient de ces jours comme d’une période de soulagement mêlé d’horreur face aux séquelles de la guerre.

Les soldats de l’Axe, dans leur fuite précipitée, se dirigeaient vers la forêt de Brotonne, cherchant à traverser la Seine. Le père de Madame Royer, témoin de ces mouvements désordonnés, a vu des scènes qui resteraient gravées dans sa mémoire. Parmi les plus marquantes, il a observé des chevaux entassés et massacrés à la grenade par les Allemands, déterminés à ne laisser aucun équipement ou animal aux forces Alliées. Mme Royer se souvient des soldats morts, figés sur leurs chevaux, tandis que les montures, elles, étaient bien vivantes. En réalité, des Allemands avaient entrepris de traverser la Seine à cheval, mais furent abattus en chemin. Désormais sans direction, les chevaux rebroussaient naturellement chemin vers la berge, emportant avec eux les corps inertes de leurs cavaliers.

Pendant la libération, pour protéger sa famille, le père de Madame Royer avait creusé une tranchée assez grande pour accueillir tous les membres de la famille. Au moindre bruit suspect, ils pouvaient tous s’y réfugier. Mais sa mère, d’un calme imperturbable, restait souvent dans la maison, ressentant les vibrations des vitres à chaque explosion. Madame Royer se rappelle des bombardements intensifs dans la région, notamment à Corneville-sur-Risle, où plus de 300 bombes furent larguées.

La libération de la région par les forces canadiennes a apporté un sentiment de soulagement immense, mais l’après-guerre n’était pas sans défis. Les restrictions et les pénuries alimentaires persistaient, et les bons de rationnement restaient une partie intégrante de la vie quotidienne. La famille Royer, bien que relativement mieux lotie grâce à ses réserves, a vu de nombreux habitants des villes avoisinantes venir en campagne pour se ravitailler.

Cette période a également été marquée par un esprit de solidarité et de reconstruction communautaire. Les habitants, unis par l’expérience partagée de la guerre et de l’occupation, ont travaillé ensemble pour reconstruire leurs vies et leurs communautés. Pour Madame Royer, ces années d’après-guerre ont été synonymes de résilience et d’espoir, témoignant de la capacité humaine à surmonter les épreuves et à reconstruire, même après les moments les plus sombres de l’histoire.